En retrait/e. La solitude créatrice au prisme du genre

  Jeudi 8 mars de 9h à 18h

 

 

 

Journée d’étude du groupe Histoire du Genre-CRH (EHESS-CNRS), en collaboration avec le Wissenschaftskolleg (Berlin) et le Centre Marc Bloch (Berlin)

Organisatrices / Contact :
Xenia von Tippelskirch (Humboldt-Universität), xenia.vontippelskirch@hu-berlin.de ;
Audrey Lasserre (UCL, Louvain-la-Neuve), audrey.lasserre@uclouvain.be.

De l’Antiquité à nos jours, les discours européens sur les pratiques de la retraite comme lieu de réflexion et de production religieuse, intellectuelle et artistique forment un ensemble complexe de représentations. La retraite implique en effet des formes variées : halte, attente, méditation, contemplation, pèlerinage, prière, isolement, ou même maladie. Qu’elle prenne la forme d’un désert, d’un jardin, d’une forteresse, d’un couvent, d’une cellule, d’un ermitage, d’une chambre de malade ou d’une chambre de travail, d’une métropole même (de manière exemplaire, Simón del desierto deBuñuel), la configuration réelle et imaginaire de la retraite est soumise à une constante métamorphose qui en fait aussi bien un environnement qu’un alter ego de la personne en retrait du monde. Dans la zone de tension entre passivité et abandon d’un coté, et activité, affirmation et subversion du statu quo social, de l’autre, la relation entre individu et société y est continuellement renégociée. La retraite peut tout autant signifier l’adaptation aux normes que le refus de l’autorité, ou que l’expérimentation de modèles de vie innovants.
On peut alors s’étonner que, dans le champ de l’histoire culturelle et de l’histoire des savoirs, les études sur les dispositifs, pratiques et normes de la retraite créatrice dans une perspective de genre fassent encore défaut. On y associe presque exclusivement des œuvres récentes (Virginia Woolf, A Room of One’s Own ; Christa Wolf, Sommerstück) en oubliant que ce phénomène connait une longue tradition en Europe, tradition qui ne compte pas seulement des poètes, philosophes, ermites et érudits (cf. Pétrarque, De vita solitaria), mais aussi des écrivaines, des érudites et des recluses (Hildegarde von Bingen, Christine de Pizan, Thérèse d’Ávila). Ces dernières revendiquent et expérimentent l’isolement comme lieu de paix, par le silence et la sécurité qu’elles y trouvent, mais aussi comme lieu de l’ascèse, de la productivité intellectuelle et spirituelle ; la vie en retrait peut aussi se faire geste de protestation, à la manière d’un engagement social et culturel. En retrait, ces créatrices sont confrontées à une tradition misogyne selon laquelle les femmes perturberaient le détachement, le recueillement et la concentration des ascètes (Antonius Eremita) ou des penseurs, en les transformant éventuellement en un tête à tête érotique (Abélard et Héloïse).
Nous voudrions donc ouvrir la réflexion autour du phénomène de l’isolement (volontaire et productif) dans une perspective de genre. Dans le cadre des études de genre, les questions de la retraite et de l’isolement ont rarement été considérées, bien qu’il semble évident que le renoncement au monde et l’isolement social mettent en question les représentations de genre (sexes et sexualités).
Il s’agira d’analyser les implications éthiques, sociales, politiques, religieuses, discursives, esthétiques, métaphoriques, topographiques, etc., dans une perspective diachronique et synchronique. Quels discours, objets d’art et théories de la retraite deviennent pertinent·es dans une perspective de genre ? De quelle manière des modèles religieux (orthodoxes ou bien dissidents) reprennent et transforment des formes post-séculaires de la retraite tout en modifiant aussi les discours qui s’y réfèrent ? Quelles ruptures, contradictions et transgressions deviennent observables dans la longue durée ? Quelles conceptions de la productivité et de l’engagement sont proposées ? Quand peut-on observer un recul transgressif par rapport aux traditions de retraite historiques ?
Il faudra également poser la question d’une forme de retraite qui se voudrait spécifiquement féminine ou masculine. Il s’agira par exemple d’éprouver pour l’Ancien régime l’hypothèse d’un isolement revendiqué – pour répondre à la domination masculine – comme forme privilégiée de l’engagement au féminin. Certain.es auteur.es se distancient pourtant explicitement d’un tel discours : il faudra alors vérifier le rôle qu’ils/elles donnent alors à la retraite, et la façon dont cette hypothèse structure des modèles de masculinité ou de transsexualité. Quels nouveaux objectifs se construisent ainsi ? Quels rôles de genre sont ainsi évoqués, mis en œuvre ou contournés ? Existe-t-il une topographie féminine de la retraite ? Enfin, le fait de parler et d’écrire à propos d’une retraite réelle ou envisagée peut-il mener vers des nouvelles formes de publication et d’expérience collective ?

Cette journée d’étude internationale et interdisciplinaire vise à emprunter ces pistes de recherche et à faire naître des collaborations autour du thème de la retraite. Le but sera de discuter les implications sociales, politiques et esthétiques de différentes pratiques et représentations de la retraite dans une perspective diachronique et systématique, et de confronter par l’analyse des phénomènes tout aussi historiques qu’actuels. Les organisatrices souhaitent ainsi créer un dispositif de dialogue scientifique entre jeunes chercheur/euses et chercheurs/euses expérimenté es autour du thème de la retraite créatrice dans une perspective de genre interdisciplinaire.

Programme

Lieu

Institut d’études avancées
Hôtel de Lauzun
17 quai d’Anjou
75004 Paris