Émotions, masculinités et violences du Moyen Âge à nos jours
19 et 20 octobre 2023
Colloque
Présentation
En 2018, Damien Boquet et Dider Lett lançaient un appel aux historien-nexs pour confronter les émotions « à l’épreuve du genre » (Boquet, Lett: 2018). Lieu d’exacerbation affective, empreint d’un imaginaire particulièrement genré, l’événement violent offre une voie d’accès privilégiée pour répondre à cette invitation.
La violence est un fait social qui varie en formes et en intensité selon la période et le contexte. Notion aux contours poreux, elle peut aussi bien s’insérer dans les relations interpersonnelles que des dynamiques politiques ou sociales. L’historiographie de la violence, souvent appréhendée au travers du prisme de l’appareil judiciaire, s’est d’abord concentrée sur sa criminalisation (Castan: 1980, Nassiet: 2011, Porret: 1995, Spierenburg: 2013). Les recherches consacrées au contexte européen parviennent à un constat univoque : les résultats des analyses quantitatives menées sur la question de la violence saisie à travers les archives judiciaires sont largement dominés par un dimorphisme sexué et marqués par une nette surreprésentation masculine.
Étudier ce fait social invite donc à intégrer une perspective de genre, dont l’impact se mesure aussi bien dans les constructions normatives que dans les perceptions et les positionnements individuels (van der Heijden: 2016, Walker: 2003). Sous l’impulsion de l’histoire des femmes, puis du genre, l’historiographie s’est emparée de cette catégorie d’analyse, que ce soit pour interroger la violence sexuelle, conjugale, ou encore celle émanant des femmes. Le genre impacte non seulement la manière dont les actes brutaux sont normalisés, pratiqués et régulés, mais ses effets s’observent également dans la définition même du geste violent.
La surreprésentation masculine invite à porter le regard plus spécifiquement sur les liens entre masculinités et violence. Dans cette perspective, il ne suffit pas seulement de penser aux normes de la virilité et au code d’honneur masculin. En effet, l’historiographie a démontré la richesse d’une approche intersectionnelle qui prend en considération l’ensemble des hiérarchies sociales. Penser les normes, les expériences et les représentations de manière dynamique et plurielle, au sein même de la catégorie du masculin, permettrait d’apporter un éclairage approfondi sur les liens entre violence et genre.
Intimement liée à l’expérience sensible, l’histoire de la violence bénéficierait grandement de l’apport de l’histoire des émotions, qui s’est imposée depuis une vingtaine d’années comme un champ de recherche dynamique et en constant renouvellement. Les émotions, renvoyées à de simples mécanismes corporels, ont longtemps été considérées comme anhistoriques. Ce désintérêt découle des paradigmes dichotomiques qui structurent la pensée occidentale, tels que nature-culture, conscient-inconscient, langage-expérience, qui opposent raison et émotions pour rejeter les affects dans la sphère physiologique. Depuis quelques décennies, de nombreux travaux, émanant notamment des médiévistes, se sont emparés de l’univers affectif et ont démontré que les émotions évoluent également en fonction du contexte historique (Boquet, Lett: 2018; Nagy: 2018, 2020, 2021; Rosenwein: 2006, 2015, 2017). Alors que les premières synthèses sur ce champ historiographique commencent à être formulées, les liens entre violences, masculinités et émotions demeurent encore peu explorés (Corbin, Courtine, Vigarello: 2016 ; Broomhall: 2015).
Ce colloque propose d’interroger l’évolution de la violence sur la longue durée. L’articulation entre masculinités, violence et émotions adopte des formes et des enjeux différents selon le contexte historique dans lequel elle s’inscrit. La violence étant pensée et définie de manière variable d’une époque à une autre, ou d’un discours à un autre, la thématique interrogée est aussi révélatrice des enjeux culturels et de l’imaginaire propre à un moment historique.
L’objectif de cet événement consiste donc à s’interroger sur cet impensé historique en traitant premièrement de la question des sources, qui varie selon les époques et impacte la représentation du rapport entre violence, genre et émotions. Comment appréhender les émotions masculines dans les archives, avec quels documents et quelle méthodologie ? Quelles sont les particularités et difficultés posées par cette approche ? En parallèle, quelle est l’expérience émotionnelle des historien-nexs face aux sources de la violence ?
Il s’agira également de questionner le rôle des émotions dans le discours produit autour de la violence. Les expériences émotionnelles sont-elles mobilisées dans les récits, par exemple pour justifier de la violence des hommes ? Dans quelle mesure font-elles écho à des structures narratives préétablies ? Que disent-elles des identités de genre et des stratégies individuelles ? Font-elles également objet de réappropriations, y compris de la part des femmes ? Existe-t-il des différences de genre dans les témoignages et les descriptions ?
Ce colloque propose troisièmement de s’intéresser au rôle des émotions comme moteur d’engagement masculin dans l’action violente, qu’elle soit d’ordre politique ou interpersonnelle. Dans cette perspective, des événements de grande ampleur (moments révolutionnaires, troubles collectifs…) pourraient être étudiés spécifiquement. Les périodes de bouleversements sont également propices à des transgressions affectives qui amènent à une fluidité nouvelle dans les délimitations sociales et culturelles des frontières de genre.
Comité d’organisation scientifique
- Francesca Arena
- Camille Bajeux
- Eléonore Beck
- Loraine Chappuis
- Anne-Lydie Dubois
- Taline Garibian
- Clarissa Yang
Programme
Jeudi 19 octobre
9H00 Accueil
9H30 Introduction : Clarissa Yang (UNIGE), Eléonore Beck (UNIGE)
10H Panel 1 Masculinités combattantes
Présidence : Irène Herrmann (UNIGE)
- Nina Viry (Université de Bourgogne), 1870-1871, quand les soldats vivent et racontent la guerre
- Pierre Perroton (EHESS), Écriture en fleurs, écriture de poudre, justifier la violence masculine à Paris pendant la Grande Guerre
- Daniel BAKER (Université de Cardiff), Emotional training and torture in La Milice française during the Vichy Regime (1943-1944)
11H45 pause de midi
13H45 Panel 2 Définir les violences sexuelles
Présidence : Daniela Solfaroli Camillocci (UNIGE)
- Laure Zhang (UNIGE), La construction du discours judiciaire sur l’émotion et la violence masculines dans les affaires « homosexuelles » en Chine au XVIIIe siècle
- Marion Philip (EHESS-Paris Sorbonne), Émotions, violences et sexualités masculines : insensibilité ou maîtrise de soi ? (Paris, XVIIe – XVIIIe siècle) Confronter les discours féminins et masculins à propos des émotions des hommes violents
- Cristina Ferreira (HESAV), « La peur de la virilité ». L’expertise psychiatrique pénale d’auteurs de délits sexuels (1960-1970)
15H30 pause-café
16H Table ronde. Aux sources de l’histoire des émotions et du genre : objets, épistémologie et expériences d’historiennes
Modération : Anne-Lydie Dubois (UNIGE), Loraine Chappuis (UNIGE)
- Dolores Martin Moruno (UNIGE)
- Sylvie Steinberg (EHESS)
- Sophie Wahnich (CNRS)
- Lidia Zanetti Domingues (Université de Sheffield)
Vendredi 20 octobre
8H30 Accueil
8H45 Panel 3 Colère et maîtrise de soi
Présidence : Fabrice Brandli (UNIGE)
- Bernard Dauven (Université Catholique de Louvain – Paris 1), Les hommes colériques et violents des rémissions : quelles lectures possibles en termes d’émotions, de continuités et de changements ? (Brabant, XVIe-XVIIe siècles)
- Marielle Lavenus (Université de Lille), Texte et images : Gérard de Nevers, un héros de roman d’aventures chevaleresques du XVe siècle pris dans les feux de l’amour et de la colère (Bruxelles, KBR, ms. 9631)
- Noëlle-Laetitia Perret (UNIGE), L’ambassadeur médiéval : une figure « virile » ?
10H30 pause-café
11H00 Panel 4 Les émotions face à la justice
Présidence : Taline Garibian (UNIGE)
- Joëlle Droux (UNIGE), Une justice sous le coup de l’émotion ? Le traitement pénal des jeunes délinquants au prisme des émotions (Suisse romande, 1910-1960)
- Mikhaël Moreau (IHM-CHUV-UNIL), Sur les traces des émotions des hommes psychopathes. Apports et limites des archives psychiatriques vaudoises (1940-1970)
12H15 repas de midi
13H45 Panel 5 Violences rituelles, violences sacrées
Présidence : Francesca Arena (UNIGE)
- Giovanni Ricci (Université de Ferrare), Violence masculine et violence sacrée dans l’Italie de la Renaissance
- Mathieu Nicati (UNIGE), Souffrir en guerrier ou mourir pour Dieu ? Virilités amérindiennes et jésuites à l’épreuve de la violence rituelle des iroquoiens de Nouvelles-France (1640-ca. 1650)
- Ju Garry (Université de Bourgogne), Le duel d’honneur chez les combattants Napoléoniens, la peur, la contrainte et la dépendance
15H30 mot de clôture
Informations pratiques
Le colloque se tiendra les 19 et 20 octobre 2023 au musée Voltaire
(25, rue des Délices 1203 Genève)
Adresses de contact : clarissa.yang@unige.ch; eleonore.beck@unige.ch.